Les membres de la commission de l’Environnement (ENVI) du Parlement Européen ont voté jeudi dernier en faveur du renforcement des exigences en matière de protection du climat dans la proposition de règles européennes sur la responsabilité des entreprises.
La loi 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, qui a créé les articles L 225-102-4 et L 225-102-5 du Code de commerce, La loi sur le devoir de vigilance du 27 mars 2017 renforce la responsabilité sociétale des grandes entreprises françaises en instituant un « réflexe probité ». Elle exige que chaque société – en tant que donneuse d’ordre – identifie les « risques » ou les « atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement » notamment dans le cadre de ses propres activités.
Elle prévoit que tout groupe dépassant certains seuils de nombre de salariés (au moins 5 000 salariés en France ou 10 000 salariés dans le monde) est tenu d’établir un plan de vigilance et de le mettre en œuvre de manière effective. Le plan de vigilance consiste principalement en cinq mesures dont :
- une cartographie des risques,
- des procédures d’évaluation de la chaîne de valeur,
- des actions d’atténuation et de prévention,
- un mécanisme d’alerte
- un dispositif de suivi de la mise en œuvre effective et efficace des mesures
Vote des eurodéputés
Jeudi, les députés de la commission ENVI ont adopté leur avis sur le dossier, appelant à des obligations plus strictes en matière d’impacts environnementaux et climatiques pour les entreprises, y compris l’obligation de réduire leurs émissions de carbone, conformément à la législation européenne en la matière.
« La commission de l’Environnement envoie un signal fort : nous voulons obliger les entreprises à rendre l’ensemble de leur chaîne de valeur climatiquement neutre d’ici 2050. Aucune entreprise ne devrait pouvoir délocaliser ses activités particulièrement néfastes pour le climat dans des pays hors d’Europe pour contourner les réglementations climatiques strictes en Europe »
Tiemo Wölken, rapporteur pour avis sur le dossier
Les entreprises devront donc s’assurer que leurs chaînes de valeur sont alignées avec les objectifs de l’Accord de Paris et de la loi européenne sur le climat. En outre, l’avis énonce les critères des plans de transition obligatoire que les entreprises devraient mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs.
L’un des principaux acquis du dossier est l’ajout de nouvelles catégories environnementales, qui renforcent la définition de l’impact environnemental négatif, selon le rapporteur.
Les nouvelles conventions de protection de l’environnement sont également prises en considération, notamment la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS), l’accès à la justice en cas de dommages environnementaux (convention d’Aarhus) et la nouvelle convention de Montréal sur la biodiversité (COP15).
Le cas Danone
Dans le cadre de l’action initiée devant le tribunal judiciaire par trois ONG (Zero Waste France, ClientEarth et Surfrider Foundation Europe), il est reproché à Danone, non pas de ne rien faire en matière de plastique mais de ne pas avoir appréhendé cette question dans leur plan de vigilance.
Les risques en matière d’environnement n’ayant pas été précisés par la loi (à la différence de l’Allemagne), il reviendra donc à la juridiction de déterminer si l’utilisation du plastique dans ses emballages peut être qualifiée d’atteinte grave envers l’environnement au sens de la loi sur le devoir de vigilance.
Or, si le juge donne raison aux ONG, Danone aura alors six mois pour produire un plan de déplastification au niveau mondial sous peine d’une astreinte de 100 000 euros par jour de retard.
La juridiction devra également – si elle estime que le plastique doit être appréhendé sous l’angle du devoir de vigilance – évaluer les mesures mises en place par Danone, notamment en matière de recyclage. En effet, l’entreprise consomme beaucoup de plastiques, notamment pour ses bouteilles minérales en polyéthylène téréphtalate (PET) ou ses pots de yaourt en polystyrène. Au total, ce sont 750 000 tonnes en 2021, un volume en hausse dont une partie seulement de ces plastiques est effectivement recyclée. Si le PET, utilisé notamment dans l’emballage des bouteilles minérales, se recycle bien (à condition d’avoir été collecté), ce n’est pas le cas du polystyrène des pots de yaourt (mélangé à d’autres matériaux, aluminium et papier) pour lequel aucune filière opérationnelle de recyclage n’existe encore, hormis au stade de projets de recherche et développement.
C’est la raison pour laquelle les ONG vise notamment Danone mais également tous les géants de l’agroalimentaire et de la distribution qui utilisent massivement des plastiques dans leurs emballages, dont Auchan, Carrefour, et Nestlé. Les premières ont engagé un dialogue avec les ONG, ce que ne semble pas avoir fait Danone, d’où l’activation par celles-ci de la deuxième étape que constitue l’assignation en justice.
La réduction des plastiques est déjà prévue dans la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (Agec), notamment pour les emballages à usage unique. L’enjeu pour les ONG est plus large : elles souhaitent peser sur le futur traité mondial sur les pollutions plastiques qui doit sortir en 2024 en exigeant une trajectoire de déplastification, aussi bien pour les Etats que pour les entreprises.
RSE et due diligence
Ce renforcement des règles européennes marque une avancée en matière de responsabilisation sociale et environnementale des entreprises – RSE. Mettant l’accent sur les liens qui structurent les entreprises transnationales et les chaînes globales d’approvisionnement, la RSE a contribué à l’émergence d’une panoplie d’initiatives, privées et publiques, qui visent à donner une dimension sociale et humaine à la globalisation de l’économie.
On note également le rôle central que joue la notion de due diligence qui s’impose désormais comme une notion clé dans le domaine de la responsabilité des entreprises en permettant de reconnaître les relations qui relient les différentes entités constituant les réseaux internationaux d’entreprises, ainsi que les rapports de pouvoir qui les structurent.
“La notion de due diligence a l’ambition de combler les espaces interstitiels dans lesquels s’est construite, historiquement et juridiquement, l’irresponsabilité des entreprises transnationales.”
Le devoir de vigilance : une innovation juridique entre continuités et ruptures– Luca d’Ambrosio
Existe dès lors un lien évident entre la notion de devoir de vigilance et celle de due diligence. L’une comme l’autre répondant à l’exigence d’imposer aux groupes industriels l’adoption d’instruments susceptibles de prévenir les nombreux risques qui peuvent découler de leurs activités et de celles des multiples entités constituant leur chaîne globale d’approvisionnement.
“La loi française sur le devoir de vigilance marque également la volonté d’aller plus loin et d’introduire un mécanisme permettant d’attribuer juridiquement aux larges groupes industriels défaillants les préjudices causés par les entités dépendantes”.
Le devoir de vigilance : une innovation juridique entre continuités et ruptures– Luca d’Ambrosio
En ce sens, la loi sur le devoir de vigilance vise à introduire une nouvelle règle de la responsabilité susceptible de contourner les obstacles techniques (le principe de l’autonomie de la personne morale ou l’absence de compétence des juges français sur les dommages produits à l’étranger) qui empêchent traditionnellement de faire remonter la responsabilité juridique jusqu’à « la tête » des chaînes globales de production.
Article: Joana Foglia Source: EP, CMS, Luca d’Ambrosio, éditions Francis Lefebvre, Franck Aggeri