Après des réflexions engagées depuis 2004 et des négociations internationales depuis 2018, les Etats de l’ONU ont finalisé en mars dernier un accord historique concernant la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité marine en haute mer, une zone couvrant près de la moitié de la surface terrestre et 95% de l’habitat de la planète en volume. Son adoption formelle aura lieu au mois de juin cette année, avec, comme beaucoup l’espère, une ratification et une mise en œuvre rapides.

Ce nouvel accord international complète et modernise la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, également appelée « la Constitution des océans » (certains parlent aussi de Traité des Hautes Mers). Il est le troisième de ce type et fait suite à l’accord de 1994 sur les activités minières dans les fonds marins internationaux et l’accord de 1995 sur les stocks chevauchants. Il est cependant le premier à intégrer la dimension de la biodiversité marine et à aborder la question de son utilisation durable, un concept qui n’existait pas lors des négociations de la CNUDM dans les années 1970. Il représente une étape importante pour la protection et la gestion de certains organismes marins qui se trouvent au-delà de toute juridiction. Il va par ailleurs permettre de sécuriser le cadre juridique applicable aux activités couvertes par l’accord, et ainsi promouvoir des opportunités nouvelles d’investissement.

Cet accord devrait contribuer à surmonter les défis mondiaux pressants tels que le changement climatique et le déclin de la biodiversité, notamment en raison de l’insertion de règles innovantes concernant les études d’impact environnementales cumulatives et transfrontières. En intégrant un pilier relatif aux mesures de protection de l’espace marin, notamment les aires marines protégées, cet accord – s’il est ratifié – contribuerait à :

  • établir un cadre clair permettant aux acteurs étatiques de mieux collaborer et coopérer afin de préserver la faune et la flore marine, et ainsi atteindre les objectifs de protection de 30% de l’océan d’ici 2030.
  • définir des règles relatives à l’accès, l’utilisation et le partage juste et équitable des bénéfices découlant de l’utilisation des ressources génétiques de la haute mer, ressources qui n’étaient pas encore régulées en haute mer.
  • renforcer les règles applicables au transfert de technologie et à la formation afin de permettre à tous les Etats, surtout ceux en développement, d’effectivement mettre en œuvre leurs obligations et leurs droits, notamment en ce qui concerne les études d’impact environnemental ou l’accès et l’exploitation des ressources génétiques.

Constitution des océans

L’utilisation durable des ressources de l’océan suscite une attention croissante à l’échelle mondiale et il devient clair que les institutions financières doivent être en mesure d’évaluer à la fois leur impact sur l’océan et leur exposition aux risques d’un environnement marin dégradé.

Pour aider les banques, les assureurs et les investisseurs à aligner leurs activités de financement avec l’objectif de développement durable 14 des Nations Unies “Vie sous l’eau”, l’UNEP FI héberge une initiative pour une finance de l’économie bleue durable – la principale initiative mondiale pour la finance de l’océan. Les principes sous-jacents de cette initiative incluent un engagement à soutenir les investissements, les activités et les projets qui prennent toutes les mesures possibles pour restaurer, protéger ou maintenir la diversité, la productivité, la résilience, les fonctions essentielles, la valeur et la santé globale des écosystèmes marins, ainsi que les moyens de subsistance et les communautés qui en dépendent.

L’initiative rassemble des financiers du monde entier pour mettre en lumière le rôle que les acteurs financiers, y compris les investisseurs, peuvent et doivent jouer dans la protection de la biodiversité et de la nature en général, et de l’espace marin en particulier.

S’appuyant sur l’élan de ces principes et sur sa communauté de pratique de près de 90 organisations, l’initiative a développé des lignes directrices mondialement reconnues en matière de finance bleue et des études de cas au cours des deux dernières années. Ces ressources pratiques fournissent des recommandations pour les meilleures pratiques dans les secteurs économiques liés à l’océan et les activités qui ne devraient pas être financées en raison de leur risque élevé et de leur impact négatif sur l’écosystème marin.

Les investisseurs qui entreprennent des efforts pour contribuer à atteindre de tels objectifs liés à la biodiversité et à la nature se heurtent souvent à des obstacles perçus et pratiques pour le faire efficacement. Bien que les investisseurs reconnaissent de plus en plus que les rendements financiers à long terme dépendent de systèmes naturels et sociaux sains, beaucoup pensent à tort que des considérations juridiques les empêchent d’agir pour poursuivre des résultats de durabilité améliorés. Or, le cadre juridique pour l’impact implique que les investisseurs sont tenus de prendre en compte les risques d’impact au risque de ne pas remplir leurs obligations fiduciaires.  

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Un « Cadre Légal d’Impact »  – dénommé LFI – aide les investisseurs à remplir leurs devoirs légaux existants tout en considérant les objectifs d’impact sur la durabilité. Ce projet conjoint dirigé par les Principes pour l’Investissement Responsable – PRI -, la Fondation Generation et l’UNEP FI énonce également les actions que les décideurs politiques devraient prendre pour aborder les obstacles à l’investissement en faveur de l’impact sur la durabilité.

Une analyse juridique de Freshfields Bruckhaus Deringer, commandée par le projet LFI, a examiné les cadres juridiques de 11 juridictions pour déterminer dans quelle mesure les investisseurs sont autorisés ou tenus d’intégrer de tels objectifs dans leur prise de décision, leur stratégie et leurs processus d’investissement. Le rapport se distingue des travaux précédents par sa focalisation sur les objectifs d’un investisseur, par rapport à la simple intégration des facteurs ESG dans la gestion des risques. Les résultats indiquent notamment que bien que le rendement financier soit généralement l’objectif principal des investisseurs, ils auraient aussi une obligation légale de poursuivre un impact durable, qui s’il n’est pas respecté constituerait une violation de ces obligations juridiques.

Cependant, de nombreux investisseurs ne sont pas nécessairement conscients de cela ou ne parviennent pas à gérer adéquatement leurs impacts sur les questions de durabilité. Par ailleurs, la connaissance de ce cadre juridique international, de ces opportunités en termes de positionnement et d’investissement, et des risques associés est, malheureusement, d’une part mal appréhendée, et d’autre part trop souvent en dehors du radar des investisseurs, qui gagneraient cependant à maîtriser ces questions et enjeux complexes.

Un certain nombre de rapports de politique spécifiques à la juridiction publiés dans le cadre du projet LFI décrivent les mesures que les décideurs pourraient prendre pour encourager une poursuite plus importante des objectifs d’impact en matière de durabilité et pour contrer les obstacles identifiés. Celles-ci incluent, par exemple, la clarification du moment où les impacts en matière de durabilité peuvent ou doivent être considérés comme faisant partie des devoirs de loyauté, de soin et de prudence, ou l’encouragement de l’utilisation de la gestion responsable pour atteindre des objectifs d’impact en matière de durabilité dans l’ensemble de l’industrie de l’investissement grâce à l’intégration de dispositions pertinentes dans la législation et les politiques existantes.

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Tant le projet LFI que l’initiative de finance pour une économie bleue durable préconisent que les investisseurs intègrent des objectifs d’impact en matière de durabilité tels que ceux liés à la biodiversité et à la nature dans leur activité d’investissement principale. Il devient de plus en plus clair qu’une approche inclusive de la nature correspond à la meilleure pratique du secteur et que la prise de conscience de ces questions augmente alors que des changements commencent à se produire dans l’industrie.

La politique change également et l’accord récent sur la biodiversité de la haute mer » de l’ONU et l’adoption du Cadre mondial de la biodiversité de Kunming-Montréal pointent vers une tendance positive qui est susceptible d’avoir des implications politiques ultérieures pour le secteur financier mondial.

Les entités du secteur public et privé prennent de plus en plus conscience de la nécessité d’une action urgente pour arrêter et inverser les impacts dévastateurs que des décennies de modèles de consommation et de production non durables ont eu sur nos systèmes de soutien de vie globaux, y compris la faune marine, les capacités de stockage du carbone et les écosystèmes.

Pour parvenir à une économie bleue véritablement durable, la finance doit être redirigée grâce à deux approches complémentaires : l’intégration de critères “bleus” dans les processus financiers et d’investissement, et le financement proactif d’activités durables. Les deux approches nécessiteront une action concertée des gouvernements, des régulateurs, du secteur privé et des partenaires de développement. Chaque acteur devrait par ailleurs renforcer son attention et sa compréhension du cadre juridique actuel applicables aux activités marines afin d’identifier au mieux les risques tout au long de la chaine de valeur, et ainsi contribuer au mieux à cette action concertée.

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Joana Foglia Berrebi et Me Virginie Tassin Campanella (VTA Tassin – Public international law firm dedicated to oceans & seas)

Note:

https://sustainability.freshfields.com/post/102iaf2/the-new-high-seas-treaty-part-1-what-does-it-provide

UNEP FI

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