Wealth Monaco a rencontré Laurent Barocas, ancien spécialiste du secteur bancaire et des services financiers (Global Business Manager chez Bloomberg) désormais (re)converti aux actifs numériques, qui nous livre sa vision de l’émergence globale des acteurs institutionnels dans l’univers des actifs digitaux.
La Loi n° 1.491 du 23 juin 2020 relative aux offres de jetons d’actifs numériques s’inscrit dans le programme Extended Monaco en adaptant certains aspects du projet relative à la blockchain No.2019-7 du 20 mai 2019.
Le dispositif a cependant été construit avec un périmètre redéfini et une ambition affinée : celle d’être spécifiquement orientée vers le financement des entreprises et dédiée aux levées de fonds réalisées au moyen de la blockchain.
La loi prévoit d’encadrer deux types de levées de fonds : les Initial Coin Offerings (ICO), et les Security Token Offerings (STO).
Dans le cadre d’une ICO, les jetons reçus par l’investisseur sont qualifiés de « utility tokens. » Ils permettent d’accéder à des produits et services. La plateforme de trading Binance a par exemple développé un utility token qui a pour fonction de réduire les frais de trading et de voter pour l’intégration de nouveaux produits sur l’exchange. Les ICO peuvent être privées ou publiques et sont réservées aux personnes morales immatriculées à Monaco.
Dans le cadre d’une STO, les jetons reçus par l’investisseur sont dits « security tokens » et présentent les caractéristiques d’un instrument financier. Ils confèrent un ou plusieurs droits (droit à des actions dans le capital de la société émettrice, droit de vote lors d’une assemblée générale, droit aux dividendes, …). Les STO doivent être privées et sont réservées aux sociétés par actions immatriculées à Monaco.
La stratégie monégasque diffère de celle choisie par la France ; en effet la loi Pacte, adoptée le 11 avril 2019, charge l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) de certifier les start-ups souhaitant réaliser des ICO par le biais d’un visa facultatif.
Tandis qu’à Monaco, toute offre de jetons sera soumise à une autorisation administrative préalable, prenant la forme d’un label délivré par le Ministre d’État, après avis d’une Commission dédiée.
Bien que l’adoption institutionnelle des actifs numériques n’en soit qu’à ses prémices, la demande des gestionnaires d’actifs traditionnels croît déjà rapidement.
D’après Laurent Barocas, responsable des Indices chez Trakx, startup française soutenue par ConsenSys qui développe une plateforme institutionnelle de trading d’actifs digitaux
« le secteur est en pleine mutation et les investisseurs institutionnels tels que hedge funds, family offices et gestionnaires d’actifs rejoignent ce secteur de manière très rapide ».
Ce constat est confirmé par le rapport intitulé « Institutional Adoption of Digital Asset Trading » du cabinet de recherche Acuiti qui partage les résultats d’une enquête réalisée auprès d’institutions financières traditionnelles et de sociétés spécialisées dans le crypto-trading. Ce rapport permet d’évaluer l’état actuel de l’adoption des actifs numériques à travers le secteur financier et d’évaluer la volonté des participants de l’industrie à utiliser cette classe d’actif émergente.
Le rapport a révélé que les taux d’adoption actuels étaient encore relativement faibles, bien qu’en pleine croissance. Environ un cinquième des sociétés de gestion traditionnelles (17%) utilisent des actifs numériques tels que le bitcoin et l’éther dans leur portefeuille d’investissement.
La région APAC dispose du taux d’adoption le plus élevé avec 57% des prestataires de services interrogés fournissant des services d’exécution ou de conservation pour les actifs numériques, contre environ 40% en Amérique du Nord et 30% en Europe.
Lorsqu’ils ont été interrogés sur les principaux obstacles qui les empêchaient d’adopter des actifs numériques, les investisseurs institutionnels ont cité la sécurité des échanges / la peur du piratage, les préoccupations concernant la conservation des actifs (custody), ainsi que l’incertitude réglementaire entourant cette industrie.
Pour les fournisseurs de services, les inquiétudes concernant la lutte contre le blanchiment d’argent (AML) et la vérification client (KYC), et le risque de réputation, ont été citées comme les principales préoccupations les empêchant d’adopter des actifs numériques.
Tout de même, le rapport a identifié une demande croissante des institutions traditionnelles, beaucoup cherchant à rejoindre ce marché dans un avenir proche. Parmi les sociétés traditionnelles qui avaient décidé de ne pas échanger d’actifs numériques, 97% ont déclaré qu’elles reconsidéreront à nouveau l’opportunité dans les deux prochaines années ou moins.
Un écosystème en croissance rapide
L’écosystème d’entreprises ciblant les investisseurs institutionnels a considérablement muri au cours des deux dernières années et comprend désormais un certain nombre d’entreprises qui couvrent l’ensemble de la chaîne de valeur.
Il s’agit notamment des émetteurs et des plates-formes de tokenisation, des courtiers et des sociétés d’exécution de transactions, des fournisseurs de liquidités, des bourses, des dépositaires, des fonds d’investissement, des fonds de fonds et des fournisseurs de données.
Plusieurs opérateurs historiques dont Fidelity, State Street et Börse Stuttgart, sont également entrés dans le paysage des fournisseurs de services d’actifs numériques.

Selon Trakx « 2020 sera une année déterminante » pour le développement du secteur. De nombreuses startups continuent de construire l’infrastructure technique nécessaire à l’arrivée d’acteurs institutionnels. En parallèle, les gestionnaires d’actifs se familiarisent aux crypto-monnaies.
Mais l’adoption institutionnelle dépendra également grandement du rythme auquel les régulateurs créeront une sécurité juridique autour des actifs numériques, notamment en établissant une définition transparente de ce qui constitue des actifs numériques et des réglementations auxquelles ils sont soumis.
Avec sa réglementation claire sur la blockchain et les jetons (tokens), Monaco attirera certainement des projets sérieux, ouvrant la voie à l’adoption institutionnelle dans la Principauté.
Article : Joana Foglia – Source: interview de Laurent Barocas