L’utilisation des notations ESG souveraines est un sujet complexe. On note que les réflexions autour de l’ESG ont été beaucoup mieux développées pour les entreprises (actions, obligations) que pour les états. Face au brouillard des notations ESG souveraines, les SLB souveraines peuvent-elles apporter un peu plus de visibilité à l’investisseur?
Risque de crédit & ESG
Traditionnellement, les analyses de risque de crédit sur les émetteurs souverains prennent en compte des variables macro-économiques et financières, comme l’état des finances d’un pays, la structure de son PIB, son rythme de croissance, etc. Or on retrouve dans cette analyse classique des risques crédit en lien avec l’ESG, et notamment sur le pilier du G de la gouvernance, au travers de critères spécifiques comme l’état de droit, la stabilité politique ou le bon fonctionnement des institutions.
Cependant une intégration plus poussée de critères ESG devrait permettre d’identifier d’autres risques extra-financiers auxquels les émetteurs souverains sont structurellement exposés. Pour prendre l’exemple du Brésil, dont 20% du PIB provient de l’exportation de ressources naturelles, on comprend que qu’il fait face à l’enjeu stratégique de gérer au mieux sa forêt amazonienne, sans parler de l’incidence sur la dette des dépenses faites par les Etats pour s’adapter aux effets croissants et négatifs du changement climatique. Il y a donc une forte corrélation entre la performance ESG et la solvabilité des Etats mais là-dessus, les notations ESG restent trop peu homogènes pour permettre aux investisseurs de standardiser leur analyse.
Entre autres biais de l’analyse classique versus l’analyse ESG, on peut citer également la question de la distorsion des revenus dont les Etats « développés » obtiendront de meilleurs ratings que les états émergents, ce qui porte préjudice à des états avancés sur les thématiques environnementales, comme le Costa Rica, qui au lieu de pouvoir valoriser sa bonne gestion et performance environnementale pour lever du financement pour son développement économique, se verra pénalisé.
Que peut apporter les SLB?
C’est là que les obligations liées aux objectifs durabilité, plus communément appelés les Sustainability Linked Bonds -SLB – peuvent s’imposer comme un moyen crédible et prospectif pour les investisseurs de s’exposer aux progrès qu’un émetteur réalise en matière ESG.
Les marchés « développés » ne considèrent pas encore les obligations basées sur des objectifs de performance – KPI – car ils sont plus concentrés sur les projets. En revanche, ce sont des solutions de dette plus aisément adoptées par les marchés émergents. On compte à ce jour deux SLB souveraines émises par des états émergents dont le Chili et l’Uruguay. Le Brésil pourrait être très probablement le prochain candidat à l’émission d’une SLB massive. On fait notamment référence à la SLB envisagée par NatWest d’un montant de 10 milliards de dollars spécifiquement conçue pour aider à stopper la destruction de la forêt amazonienne et liée aux objectifs atteints par le Président élu Luiz Inacio Lula da Silva pour reprendre le leadership sur les mesures de lutte contre le changement climatique.
Les SLB souveraines représentent donc des dettes publiques assorties d’une contrainte environnementale, sociale ou de gouvernance assurant aux investisseurs que ces titres ont été émis avec une stratégie ESG bien définie.
L’émission de 2 milliards de dollars sur 20 ans du Chili en mars dernier, est liée aux ambitions du pays de s’aligner avec l’Accord de Paris sur le changement climatique. Ainsi l’obligation émise est assortie de 2 clauses distinctes:
- ne pas émettre plus de 95 millions de tonnes de CO2 d’ici 2030 ;
- 60% de sa production électrique sera réalisée à partir d’énergies renouvelables d’ici 2032
Le paradoxe des SLB est que atteindre ou manquer l’objectif, modifierait les caractéristiques du titre. Ainsi le coupon varie à la hausse en cas de manquement, ou reste inchangé en cas d’atteinte de l’objectif. On peut donc compter sur le contrôle et la vérification massive des parties prenantes aux chiffres annoncés en termes de développement durables et d’alignement avec les clauses initiales.
Les deux premières émissions souveraines du Chili et de l’Uruguay, ont démontré que les SLB peuvent être utilisés à bon escient pour les états afin d’effectuer un changement réel dans la transition vers la neutralité carbone d’ici 2050. On pourrait également imaginer des obligations liées à la durabilité avec des thèmes «sociaux» – liés, par exemple, à la réduction de la pauvreté ou à l’atteinte de seuils de revenu moyen. Et plus globalement qu’un pays engagé vers une transformation structurelle mérite au moins d’être prise en compte dans une analyse des risque crédit plus traditionnelle.
Article: Joana Foglia