Les échanges en dette nature pourraient-ils être une double solution pour la soutenabilité environnementale et la dette des pays en développement ? Deuxième partie de la réflexion menée par la Direction de la Stabilité financière et la Direction des Politiques européennes et multilatérales de la Banque de France.
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Face au double défi de la lutte contre la dégradation environnementale et du maintien de la soutenabilité de la dette publique dans les pays à revenu faible et intermédiaire, des propositions ont récemment remis en avant les « échanges de dette contre nature ». Pour les banques centrales, les transitions climatiques et environnementales constituent des enjeux de stabilité financière importants (NGFS & INSPIRE, 2022). Ces enjeux sont de plus en plus présents dans les enceintes multilatérales auxquelles elles participent, notamment le G20.
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Des échanges à l’origine plutôt centrés sur les acteurs publics et l’Amérique latine
Les échanges de dette contre nature consistent en des techniques financières qui visent à réduire la dette d’un État en échange de son engagement à dépenser une part de cette réduction pour protéger la nature. Les actions de conservation de la nature ont pour but de préserver ou d’engendrer des gains écologiques (restauration, amélioration ou création de zones protégées, ou atténuation du changement climatique), voire de compenser quantitativement et qualitativement des pertes écologiques liées aux activités humaines (Levrel, 2020).
Sur le plan des acteurs, la pratique a vu se développer deux grandes catégories d’échanges de dette contre nature : les échanges publics et les échanges privés. Entre 1987 et 2015, les fonds pour la conservation de la nature alimentés par les échanges de dettes, pour environ 1,25 milliard de dollars, sont majoritairement issus d’accords publics (77% des montants).
Sur le plan géographique, les échanges de dette contre nature ont majoritairement concerné des pays d’Amérique latine et des Caraïbes, pour près de la moitié des fonds générés (cf. graphique).
Fonds générés par les échanges de dette contre nature, par pays créanciers

Cette situation reflète la place des États‑Unis en tant que créancier (pour 41% des fonds générés) et du
recours américain aux programmes EAI et TFCA, lesquels sont concentrés sur les pays d’Amérique latine et des Caraïbes. Au total, 39 États ont bénéficié d’échanges de dette contre nature entre 1987 et 2015.
S’agissant de la destination des fonds, la plupart des échanges de dette contre nature réalisés à ce jour ont donné lieu à des compensations principalement destinées à freiner la déforestation (Sommer et al., 2019).
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Un intérêt pour les échanges dette‑nature qui s’accroît dans le monde et les instances internationales.
Ce regain d’intérêt provient d’abord de la communauté scientifique. Plusieurs parutions (Essers et al., 2021; Caliari, 2020; CEPR, 2022; Volz et al., 2021; Weder di Mauro, 2021) invitent à promouvoir les échanges de dette contre nature à la fois dans le contexte post‑pandémique et dans le cadre de la lutte contre le changement climatique.
L’attrait pour ce mécanisme d’échange se retrouve également, à un certain degré, dans les cercles internationaux et gouvernementaux. Le FMI et la Banque mondiale avaient ainsi indiqué en avril 2021 préparer des propositions en la matière. Si la publication d’un rapport conjoint a été abandonnée, les services du FMI ont toutefois diffusé en août 2022 un document de travail sur les échanges dette‑climat (FMI, 2022).
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Des pays créanciers se sont aussi intéressés au sujet.
Le département du Trésor américain a lancé en 2021 un groupe de travail sur les échanges de dette contre nature, et la Commission européenne a commandé un rapport sur ce sujet (Lazard, 2021). Par ailleurs, plusieurs notes d’orientation émanant de groupes de réflexion chinois ont mis en avant l’opportunité que représenterait pour la Chine la conclusion d’échanges de dette contre nature avec les pays faisant partie de la nouvelle route de la soie (Steele et Patel, 2020; Yue et Nedopil Wang, 2021).
La Chine, qui n’a jamais effectué ce type d’échange, détenait en 2020 près d’un tiers de l’ensemble de la
dette PPG1 bilatérale des pays à revenu faible ou intermédiaire (cf. graphique).
Dette PPG bilatérale des pays à revenus faible ou intermédiaire, par pays créanciers (en milliards de dollars)

publique et garantie par l’État.
Le Club de Paris est un groupe informel de 22 créanciers publics dont le rôle est de trouver des solutions coordonnées et durables aux difficultés de paiement des pays endettés.
Source : Banque mondiale, International Debt Statistics 2021.
Ce regain d’intérêt pour les échanges s’inscrit dans le cadre plus large du déploiement de nouveaux mécanismes liant soutenabilité de la dette et aide au développement2.
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Plusieurs pays débiteurs ont également marqué leur intérêt pour relancer les échanges de dette contre nature.
Ainsi, en juin 2021, l’Argentine s’est déclarée favorable à leur mise en œuvre pour réduire sa dette publique, tout en préservant les services écosystémiques3 fournis par le capital naturel de son territoire. L’Équateur a quant à lui proposé une extension de 60000 km² de la réserve naturelle des îles Galápagos en la finançant par un échange de dette.
De fait, le contexte actuel invite à élargir la pratique des échanges dette‑nature à de nouveaux domaines. De récentes propositions évoquent ainsi des échanges dette contre climat; le but serait de permettre aux pays à revenu faible et intermédiaire de trouver une partie des ressources budgétaires qui leur manquent pour financer les lourds investissements nécessaires à la transition bas‑carbone ou à l’adaptation au changement climatique (AIE, 2021; Weder di Mauro, 2021; Volz et al., 2020).
Au‑delà, alors que l’attention se portait dans les années 1980 sur la seule protection des écosystèmes
terrestres, elle englobe aujourd’hui les écosystèmes côtiers et marins en raison notamment de leur important potentiel de séquestration de carbone. Ainsi, l’échange dette‑nature réalisé au Belize en novembre 2021 en faveur de la barrière de corail (salué par le FMI [2022a], et valant une réduction de la dette extérieure de 10% du PIB) pourrait être répliqué pour développer des solutions centrées sur ce «carbone bleu». Ce serait également un moyen d’impliquer davantage les États insulaires en développement, souvent très endettés, dans des échanges dette‑nature.
Source: Banque de France
1. Public and publicly guaranteed, pour dette publique extérieure garantie par l’État.
2 Cf. notamment le mécanisme C2D (contrat de désendettement et de développement) pour reconversion de dettes.
https://www.afd.fr/fr/le‑c2d‑un‑mecanisme‑pour‑soulager‑les‑pays‑endettes
3 Les écosystèmes en bon état fournissent des services dits écosystémiques (approvisionnement en matériaux ou en eau, régulation du climat, pollinisation, etc.) dont dépendent les activités économiques.